25/05/2020
Virginia Woolf : Entre les actes
Virginia Woolf, pseudonyme d’Adeline Virginia Alexandra Stephen (1882-1941), est une femme de lettres anglaise, l'une des principales auteures modernistes du XXe siècle. Bisexuelle et féministe, elle fut une figure marquante de la société littéraire londonienne et un membre central du Bloomsbury Group, qui réunissait des écrivains, artistes et philosophes anglais, groupe au sein duquel elle rencontrera Vita Sackville-West avec qui elle aura une liaison durant toutes les années 1920. Woolf souffrait d'importants troubles mentaux et présentait tous les signes de ce qu'on nomme aujourd'hui, troubles bipolaires. En 1941, à l'âge de 59 ans, elle se suicida par noyade dans l'Ouse, dans le village de Rodmell (Sussex), où elle vivait avec son mari Leonard Woolf, écrivain lui aussi. Elle avait commencé l'écriture comme activité professionnelle en 1905 pour le supplément littéraire du Times et un premier roman en 1915. Entre les actes, le plus court de ses romans et aussi son dernier, a été publié à titre posthume en 1941.
Unité de lieu, Pointz Hall, un manoir dans la campagne anglaise, unité de temps, un jour de juin 1939. Tout le village s’active car on donne dans la soirée une représentation théâtrale dans la grange du manoir. La pièce est écrite et mise en scène par Miss La Trobe, une vieille fille locale, les acteurs ont été recrutés parmi les villageois, les lieux et le buffet sont fournis par les châtelains ; le spectacle servira à collecter des fonds pour installer l’électricité dans l’église.
Les personnages du roman : le propriétaire de la demeure, le vieux Bartholomew Oliver, sa sœur, Lucy Swithin, son fils Giles, agent de change à Londres avec sa femme Isa et leurs enfants. Viendront se greffer à eux, Mme Manresa, femme libérée, « une heureuse nature », accompagnée de William Dodge, peut-être artiste peintre.
Le plus difficile avec Virginia Woolf, c’est d’entrer dans son texte. Passée cette épreuve initiatique, on se laisse porter par son style – particulier et très personnel il est vrai – fait d’un charme mélancolique particulièrement addictif. Quand on aime la belle écriture, on ne peut qu’être séduit.
Le roman est en deux parties mêlées, la pièce et le texte dit par les acteurs, et les paroles échangées par les habitants du manoir, bribes de conversations, mots attrapés dans l’air, pensées fugaces ; le lecteur est comme le convive d’une réception où il ne connait personne, passant de groupe en groupe, chopant de-ci de-là des bouts de conversations. Dit ainsi ça vous effraie et c’est assez normal, mais quand on accepte la situation c’est terriblement envoûtant. J’emploie ce terme dans chacun de mes billets concernant Virginia Woolf car réellement, c’est celui qui pour moi me paraît le plus adapté, correspondant à l’effet que je ressens, un attrait irrésistible.
Complexe de lire entre les lignes mais je me lance. Il est question de l’Angleterre, celle d’une époque révolue en opposition avec celle qui s’ouvre et d’un monde entre deux guerres mais pour peu de temps encore, « l’Europe bardée de canons, survolée d’avions » ; la dualité se retrouve dans les personnages, leurs caractères sont opposés (Bart Oliver et sa sœur), leurs désirs divergent (Giles trouve séduisante Mme Manresa, Isa a tiqué sur un « homme en gris » aperçu dans la foule), Mme Manresa tranche par son caractère et ses manières très libres avec le type british coincé de la noblesse locale. Entre ces situations ou ces actes, Virginia Woolf trace son sillon.
La journée s’achève, et le roman itou, par une promesse d’engueulade entre Giles et Isa avant une réconciliation prévue sur l’oreiller, peut-être source d’un rejeton supplémentaire pour une Angleterre future…
C’est très beau, c’est du Virginia Woolf… mais c’est aussi une lecture qui se mérite.
« Est-ce qu’il pouvait lui dire « Je m’appelle William » ? Il en avait vraiment envie. Elle était âgée et frêle, et elle avait grimpé les escaliers. Elle avait dit ce qu’elle pensait, sans faire attention, sans se demander s’il la trouverait, comme c’était le cas, incohérente, sentimentale, un peu stupide. Elle lui avait tendu la main pour l’aider à sortir d’une passe difficile. Elle avait deviné son embarras. Assise sur le lit, elle était là qui chantait, balançant ses petites jambes : « Venez voir mes algues, venez voir mes coquillages, venez voir mon perroquet sautiller sur son perchoir » - une comptine chantée par une vieille enfant pour venir en aide à un enfant. Debout près du placard dans le coin, il voyait son reflet dans la glace. Détachés de leurs corps, leurs yeux sans corps, souriaient à leurs yeux reflétés dans la glace. »
Virginia Woolf Entre les actes Gallimard La Pléiade Œuvres romanesques Tome 2 – 135 pages –
Traduction par Josiane Paccaud-Huguet
07:00 Publié dans Etrangers | Tags : virginia woolf | Lien permanent | Commentaires (6) | Facebook |